« L’argent a été réduit à un simulacre de lui-même, une simple obligation pour une contrepartie d’effectuer des fonctions de tenue de livres. » — Stefano Gogioso, A Quantum Moneyfesto
La science de la téléportation : de la science-fiction à la réalité quantique
Dans l’univers imaginatif de la science-fiction, des concepts comme le transport instantané ont depuis longtemps captivé l’intérêt du public. L’un des exemples les plus emblématiques est le Téléporteur dans l’Enterprise de Star Trek, capable de faire passer apparemment une personne du vaisseau à une planète proche en quelques secondes. L’explication donnée dans la fiction veut qu’un membre d’équipage soit dématérialisé sous forme d’une structure énergétique, envoyé dans un nouvel endroit, puis rematérialisé — sa conscience et sa mémoire restant parfaitement intactes.
Cependant, notre compréhension croissante de la téléportation quantique révèle un tableau bien plus déconcertant. Contrairement à la fiction rassurante, le processus de téléportation quantique, démontré pour la première fois en 1993, implique fondamentalement la destruction de l’état quantique original. Les informations enregistrées peuvent alors être transmises sous forme de données classiques et reconstruites ailleurs à l’aide de particules intriquées. Le point essentiel à retenir est qu’aucun objet physique ne voyage à travers la distance — seule l’information le fait, et l’original est détruit dans le processus. En vérité, la copie qui apparaît ailleurs n’est pas l’entité d’origine ; c’est une reconstruction parfaite, mais entièrement nouvelle.
Cette prise de conscience prend une importance particulière lorsque nous commençons à envisager l’avenir de l’argent. Les mécanismes de nos systèmes financiers, bien que paraissant abstraits, pourraient bien être à l’aube d’une transformation similaire grâce à la technologie quantique.
Transmission de l’argent aujourd’hui : registres, banques et tenue de livres
Dans le système bancaire traditionnel, envoyer de l’argent d’un compte à un autre n’est pas un transfert direct d’une quelconque « substance » monétaire. Il s’agit plutôt d’une chorégraphie minutieuse d’entrées de comptabilité entre banques. La Banque A réduit le solde de votre compte et envoie un message à la Banque B pour qu’elle augmente le solde correspondant dans ses propres registres. L’argent ne quitte jamais physiquement le coffre ; seules ses représentations numériques circulent dans le système sous forme de messages de confiance, de responsabilité et de crédit.
Des intermédiaires tels que les banques sont nécessaires pour mettre à jour, certifier et synchroniser ces registres. Au fond, toute notre infrastructure financière repose sur des registres mutuellement reconnus, renforcés par des systèmes informatiques complexes en coulisses.
Qu’est-ce que l’argent quantique ? Passer des données à la valeur atomique
Mais que se passerait-il si l’argent n’était plus un enregistrement numérique ou une entrée de base de données, mais une entité physique fondamentale — un état quantique unique contenu dans un atome, un photon ou une molécule ? C’est le principe radical de l’argent quantique. Au lieu d’effectuer un transfert par mise à jour des registres, on pourrait littéralement téléporter la valeur d’un état quantique à un autre, conformément aux lois de la physique quantique telles que la superposition, l’intrication et le fameux théorème d’impossibilité de la copie.
L’argent quantique n’est pas simplement une nouvelle forme de cryptage ou une manière plus sophistiquée d’envoyer des chiffres sur internet. Comme l’a expliqué le chercheur Fabrizio Genovese, « La chose la plus importante à comprendre ici est que l’argent quantique se comporte comme une ressource, et non comme une donnée. » La valeur est incarnée dans l’état quantique lui-même, ce qui le rend fondamentalement impossible à copier et d’une sécurité unique.
Ce quantum d’objet ne serait pas simplement un enregistrement de valeur ; il serait la valeur, à l’image d’une pièce d’or que l’on tient dans sa paume. Si la pièce est perdue ou détruite, sa valeur disparaît ; elle ne peut pas être dupliquée ni effacée d’un simple clic de clavier. C’est cette propriété qui distingue l’argent quantique et qui en ferait peut-être le moyen d’échange de valeur le plus sûr jamais inventé.
Comment l’argent quantique fonctionnerait-il en pratique ?
Les espèces actuelles assurent la confidentialité et la détention personnelle car on peut transporter et échanger du cash de main à main. Cependant, leur utilité diminue avec la distance. À l’inverse, l’argent numérique se transmet facilement à distance, mais sacrifie la confidentialité et la propriété directe, puisqu’il dépend de tiers et de registres intégrés ou de blockchains.
L’argent quantique, s’il se matérialisait, pourrait conjuguer le meilleur des deux mondes. Vous pourriez stocker des bits quantiques d’argent dans un dispositif spécialisé — en somme, votre propre portefeuille numérique au niveau atomique. Protégé par les lois fondamentales de la physique, et non par la simple cryptographie, l’état quantique de vos fonds ne pourrait pas être copié, dupliqué ni altéré. Lorsque vous souhaitez envoyer de la valeur à l’autre bout du monde, votre appareil lance la téléportation quantique, transférant instantanément la valeur. L’acte d’envoi détruit l’état quantique sur votre appareil, garantissant qu’une seule et unique copie valide soit recréée pour le destinataire, où qu’il soit.
C’est là une révolution : la monnaie traditionnelle consiste à gérer de l’information, tandis que l’argent quantique consiste à gérer une ressource physique quantique. Cette distinction ouvre la voie à des transactions :
- Sans autorisation : Les transferts ne demandent pas d’approbation ou de supervision par des banques ou des autorités centrales.
- Privées : Sans intermédiaires ni traçabilité, le transfert d’argent quantique est intrinsèquement privé.
- Instantanées et finales : Une fois transféré, l’état original est détruit, rendant la transaction irréversible et absolue.
Argent quantique vs. monnaies numériques existantes
Le Bitcoin et les autres cryptomonnaies ont tenté de réaliser le rêve des transactions pair-à-pair sur internet via la blockchain — un registre distribué et immuable, géré collectivement par une multitude de nœuds indépendants. Bien que cette approche ait supprimé de nombreux intermédiaires, elle repose toujours sur un consensus public et une tenue de registres. Comme le souligne Stefano Gogioso, « Les transactions sur la blockchain ne sont pas vraiment de pair à pair car il y aura toujours une partie de la mécanique susceptible de bloquer votre transaction — pour des raisons économiques, politiques ou technologiques. »
À l’inverse, l’argent quantique rendrait possibles des transactions « inarrêtables ». Aucun intermédiaire ou étape de protocole ne pourrait bloquer, retarder, censurer ou annuler un transfert de valeur. Une fois lancée, l’issue de la transaction relève uniquement des lois physiques — un processus plus fondamental qu’aucun système numérique ne saurait égaler.
Défis de mise en œuvre de l’argent quantique
Bien que les fondements théoriques de l’argent quantique soient solides, plusieurs obstacles techniques restent à franchir avant d’envisager une utilisation au quotidien. L’un des principaux défis est que l’argent quantique nécessite un appareil récepteur prêt à accepter l’état quantique unique — un peu comme le capitaine Kirk dans Star Trek, qui ne pouvait être téléporté que vers un endroit équipé pour le reconstruire. De tels dispositifs n’existent pas encore, et leur production à grande échelle n’est pas pour tout de suite. Les experts estiment que les premières versions utilisables de ces portefeuilles quantiques arriveront au plus tôt dans trois ou quatre ans.
La sécurité est un autre aspect fondamental. Pour envoyer de l’argent sans qu’il puisse être intercepté, copié ou altéré, il faut s’appuyer sur les principes mêmes de la physique quantique. Le théorème de non-clonage garantit par exemple qu’un état quantique ne peut être dupliqué. Cela procure à l’argent quantique une résistance ultime à la falsification, rendant le vol ou la fraude quasiment impossibles — sauf à subtiliser l’appareil physique lui-même.
Mais peut-être que le principal obstacle n’est pas technologique, mais social et économique : comment conférer une valeur à l’argent quantique ? Comme le note Fabrizio Genovese, « Il faudra tout de même attribuer une valeur à cet argent, ce qui pourrait s’avérer l’artifice le plus difficile. Construire un téléporteur pour qubits, c’est une chose ; faire en sorte que d’autres les acceptent comme paiement en est une autre. » La création d’un standard universellement reconnu pour l’échange de valeur quantique exigera une coordination internationale, des adaptations réglementaires et une éducation du public.
Implications plus larges : sécurité quantique pour un futur interconnecté
L’argent quantique n’est qu’une première salve dans la grande révolution en cours de la sciences de l’information quantique. Selon les experts, les mêmes principes qui rendent l’argent quantique invulnérable pourraient bientôt constituer les fondements même de la cybersécurité. Tout comme le soleil fournit notre énergie, l’univers propose les états quantiques comme la ressource ultime de sécurité. Un jour, nos téléphones, ordinateurs et identités numériques pourraient être protégés par les lois inviolables de la physique, plutôt que par des lignes de code ou des mots de passe.
Les conséquences dépassent de loin la simple sécurisation des paiements. Notre société pourrait entrer dans une ère où les transactions financières seront non seulement plus privées et décentralisées, mais aussi plus résistantes aux manipulations externes — qu’elles viennent d’autorités centrales, de pirates informatiques ou de crises imprévues.
La voie à suivre : un bond quantique pour l’argent
Bien que l’argent quantique ne soit pas encore une réalité commerciale, physiciens, technologues et visionnaires financiers se livrent d’ores et déjà une course pour en concrétiser les premières implémentations. Si elle aboutit, l’argent ne sera plus une simple abstraction consignée dans un registre lointain, mais une ressource concrète régie par les lois fondamentales de l’univers. Il pourrait faire renaître la liberté individuelle du cash, la combiner avec la portée des réseaux numériques, et inaugurer une ère financière où la confidentialité, la sécurité et la liberté ne seraient plus de simples politiques, mais des certitudes physiques.
Bien entendu, comme pour toute révolution technologique, de nouveaux risques et défis sociétaux émergeront. Les décideurs, entreprises et consommateurs devront collaborer pour s’assurer que la promesse de l’argent quantique soit utilisée à bon escient, permettant de nouveaux modes d’échange, de confiance et d’innovation dans un monde toujours plus interconnecté.
Pour l’instant, la vision de l’argent quantique reste fascinante mais hors de portée. Pourtant, tout comme la révolution numérique a transformé notre rapport à l’information, la révolution quantique pourrait bientôt redéfinir la nature même de l’argent.

